Dans notre tour des nouveaux mondes, il y a des noms qui reviennent souvent: ceux des grands explorateurs. C’est assez logique puisque les nouveaux mondes, c’est eux qui les ont trouvés, mais ça ajoute au sentiment étrange d’homogénéité qu’on ressent sur ces terres colonisées. Ce que je ne savais pas, c’est qu’il y en avait un dans la famille (enfin, plus ou moins).
Mais commençons par le commencement
Au début, la Terre était plate
Le monde était logique, avec un haut au-dessus et un bas au-dessous, l’eau tournait dans le même sens dans tous les bidets et on vivait très confortablement avec trois continents. Le soleil se levait tranquille, se couchait fatigué, la lune montrait sa face et son profil, les étoiles étaient peintes sur la voûte céleste, bref, tout allait bien. Ce monde-assiette tenait sur le dos d’une grande torture, les astres étaient tirés par des chevaux eux-mêmes poursuivis par des loups et, au bord du monde, il y avait des dragons.
Et puis les scientifiques ont commencé à en faire une boulette
Ca a posé quelques problèmes, évidemment. Certains grands pontes se sont révoltés contre le fait qu’on puisse envisager qu’il existe des endroits où tout le monde avait la tête en bas. Mais la chose a été prouvée, notamment avec la faune australe. Les koalas s’accrochent comme ils peuvent à leur eucalyptus pour ne pas s’envoler, les kangourous se rattrapent désespérément au sol à chaque pas, donnant l’illusion de sauter, la tête des pauvres lamas est trop lourde et, attirée vers le bas, elle a fini par allonger leur petit cou… Bon, c’était absurde, mais la décision était prise et la Terre a changé de forme.
Du coup, on a décidé d’en faire le tour
Bah ouais, parce qu’une assiette, on reste devant, mais un ballon, on joue avec. Et c’est là que les grands explorateurs arrivent.
Christophe Colomb (1451-1506)
Le mec se dit: « Tiens, maintenant que la Terre est ronde, j’irais bien chez l’indien du coin en passant par l’ouest. » Il dit à sa reine de ne pas s’inquiéter, qu’il va juste acheter des épices. Elle lui répond: « OK. Tiens, si tu trouves de l’or, tu peux en prendre aussi, parce qu’on ne va pas tarder à en manquer. » Cristobal part tranquille et bim! le mur.
Le mec se prend un mur en pleine face au milieu de l’océan. Du coup, il est un peu sonné, il prend tout le monde pour des Indiens, et il oublie de donner son nom au continent.
Après cet exploit relatif, tout le monde l’acclame comme un héros. Enfin tout le monde sauf les autochtones qui, pas très reconnaissants d’avoir été découverts pour se faire massacrer, célèbrent un peu moins Cristobal que les Européens.
Fernand de Magellan (1480-1521)
Lui, il se dit: « S’il y a un mur, il doit y avoir une porte » et il se met en tête d’atteindre l’océan Pacifique par l’ouest pour faire le premier tour du monde de l’histoire. Pour une raison qui restera à jamais perdue dans les méandres de l’amnésie humaine, il ne lui vient même pas à l’idée de prendre l’avion et il embarque dans une coquille de noix qui ressemble à ça:
Notre gars Fernand va longer le mur à la recherche de cette porte et finit par trouver le détroit qui porte son nom (tu parles d’une coïncidence, quand même!). Il traverse en un peu plus d’un mois le labyrinthe que nos copains selk’nam appelaient Atelili, et continue sa route pour boucler la grande boucle sans même s’apercevoir qu’il passe à côté de l‘Australie. Pour moi, ça frise le manque de professionnalisme.
James Cook (1728-1779)
Celui-là, c’est mon préféré. C’était quelques bons siècles après Colomb et Magellan, mais il a fait fort quand même: il n’a rien inventé du tout.
D’abord il a voulu copier sur nous en découvrant l’Australie du côté de Sydney avant de passer par Emu Park pour sculpter le Singing Monument et de s’échouer sur la Grande barrière de corail. Pas gêné, il a séjourné à l’île de Pâques, passé le Cap Horn et fait toute la côte ouest de l’Amérique du nord. OK, c’est presque tout à l’envers de ce qu’on a fait, mais qu’est-ce qu’il croyait, que ça ne se verrait pas ? Ben voyons!
Mais il y a pire: il a tout piqué à Star Trek! Jugez plutôt: James Cook / James Kirk; HMS Endeavour (en français entreprise) / USS Enterprise (en français entreprise); et surtout, en janvier 1774, il écrit qu’il veut aller « … non seulement plus loin qu’aucun homme n’est allé avant moi, mais aussi loin que je crois possible à un homme d’aller ». Là je crie au plagiat, quand même. Si on ajoute la carte de ses allers et venues, c’est carrément le générique de la série! Il ne se fait pas chier, Jimmy, quand même!
Jean-François de La Pérouse (1741-1788)
Lui, il a un peu plus baroudé que nous, je vous l’accorde. Il a été envoyé en voyage d’exploration autour du monde par Louis XVI pour compléter le travail de James Cook dans le Pacifique. Mais ce qui est rigolo, c’est qu’il a disparu corps et biens en 1788 et qu’on a envoyé plusieurs expéditions à se recherche. C’est là qu’intervient la légende familiale…
Albert Hubert (1828-1897)
Après avoir navigué sur le Canal Beagle, j’échange via un réseau social avec ma cousine Karin (Hi, Karin!), qui me dit:
« Sur les traces de notre arrière arrière grand père, au Cap Horn!! »
Moi: « ah bon ? »
Karin: « Bah il me semble… il a quitté la maison à 17 ans, et s’est embarqué dans la marine, et est parti à la recherche du bateau de La Pérouse… ceci dit je ne suis pas sure que ça soit au Cap Horn non plus!! Mais oui, le Canal Beagle c’est déjà génial!!! »
Moi: « De quel côté [de la famille] ? Je ne vois pas Albert Hubert faire ça! »
Karin: « Si si, pourtant! C’est bien d’Albert Hubert dont il s’agit. »
Moi: « Bah merde! Il me manque un chapitre. Je veux l’histoire. Et si tu es gentille, tu auras plein de photos du phare! »
[Karin aime les phares, NDLR]
Karin : « Alors semble-t-il qu’il a embarqué sur un navire de la marine en 1843, qui partit durant 5 ans à la recherche du bateau de La Pérouse. Je te relate les faits consignés par Pépé dans une lettre. Je te la scannerai et te l’enverrai par e-mail. Bon courage pour la lire par contre… Pépé avait une écriture de médecin!! »
Moi: Excellent!
Voila donc que je me retrouve sur les traces du héros de la famille… et dans le flou des informations lacunaires d’une tradition orale mal maîtrisée.
Parce que mon brave grand père, tout méritant qu’il fût d’avoir consigné par écrit les aventure de son propre aïeul, n’avait pas accès à internet (je ne sais pas, un défaut de la fibre optique à Beaumontel, en 1960…). Du coup, la légende est forte, mais les faits la contredisent un tant soit peu.
Du bout du monde, je me suis mis à vérifier les informations.
D’après mon grand père:
– Albert Hubert s’est engagé dans la marine à l’âge de douze ans en 1840
– après trois ans de classes, il s’est embarqué sur la Lamproie en 1843
– c’est sur ce navire qu’il a effectué le tour du monde à la recherche de La Pérouse
Or on lit sur les divers documents que j’ai trouvés que:
– en 1843, la Lamproie n’est pas listée dans les navires armés. Jusqu’en 1836, elle était affectée aux transports vers l’Algérie, en 1846 elle était armée en Méditerranée. Il y a 10 ans de flou, mais il est probable que le navire soit resté à quai… Ce qui, à ma connaissance, ne correspond pas à la définition d’un tour du monde. Le bâtiment semble n’avoir jamais quitté la Méditerranée,
– en revanche, la Lamproie et l’Astrolabe sont des corvettes de même classe (chevrette) et de la même flotte.
– C’est l’Astrolabe qui est partie a la recherche de La Perouse, de 1826 à 1829 sous le commandement de Dumont d’Urville.
Donc, il est imaginable que:
– Albert Hubert ait fait ses classes à bord de la Lamproie à Toulon, de 40 à 43 et qu’il ait ensuite, embarqué sur l’Astrolabe dans un voyage suivant, quand elle était stationnée en Amérique du sud de 1847 à 1850.
– ou bien qu’il ait parlé de la Lamproie comme un navire identique à celui qui… Et qu’il ait fait le tour du monde sur un autre bâtiment…
La légende d’Albert continue après son retour sur le plancher des vaches: il s’est marié en 1855, mais il a engendré mon arrière grand-mère hors des liens sacrés. Il l’a reconnue lors de son second mariage (très probablement avec la mère légitime). Quand il s’est établi en tant que doreur, il a dû se faire payer en toiles par des pauvres peintres sans le sou, s’est retrouvé en possession d’un Pissarro sans le savoir.
On dit qu’il a redoré le dôme des Invalides (mais là encore, il y a un problème de dates à vérifier). Ce qui est sûr, c’est qu’il a acquis et fait surélever un immeuble d’habitation rue Notre Dame des Champs qui porte encore son monogramme.
Comme quoi, il faut toujours vérifier ses sources, quand on raconte des histoires.
Ah, et il paraîtrait que la Terre n’a jamais été plate…
J’ai des doutes!