===ATTENTION: cet article peut heurter la sensibilité de certains ===
La nuit tombe sur le Queensland. Depuis Barcaldine, nous ne sommes plus sur le Capricorn (A4), mais sur le Landsborough Highway (A2) qui remonte vers le nord-ouest, nous forçant à faire un détour de quelques bonnes centaines de kilomètres si nous voulons atteindre notre but sur des routes praticables. Forts de notre ampoule de phare (ce détail prend décidément de l’importance dans l’histoire!), nous continuons notre chemin, inconscients de l’horreur qui nous attend. Oui, il reste du David Lynch dans l’inspiration, mais on s’approche un peu de l’ambiance du film de zombies.
On a tous vu ce panneau exotique, typique (et pour cause) de l’Australie. Ce qu’on ne sait pas tant qu’on n’a pas roulé sur une des highways de l’outback, c’est combien la réalité qu’il décrit est tangible. Dès notre arrivée, j’ai annoncé systématiquement sur Facebook toutes les créatures que nous avons croisées (notamment les flying foxes et quelques araignées), en espérant rapidement dire « Kangourous: vu ». Quand même, en Australie, c’était envisageable, non ?
Nous étions là depuis 13 jours et nous n’avions pas encore croisé un seul de ces marsupiaux. Enfin, ce n’est pas complètement exact: nous n’avions pas encore croisé un seul de ces marsupiaux vivant. Dès la sortie de Brisbane, de loin en loin, il y en avait sur le bas côté de la route. A présent, sur le Landsborough (mais aussi bien sûr le long du Capricorn) les cadavres se multipliaient. Plus on avançait, plus il y en avait. Ils faisaient la joie et la pitance de bon nombre de charognards, des corbeaux surtout mais aussi des aigles très imposants (plus loin vers le centre).
Jeudi 17 octobre, 17h31, enfin nous voyons nos premiers kangourous vivants sur le bord de la route. Ils sont aussi mignons et attendrissants que prévu. Il y en a des grands roux, des petits gris… en fait il commence à y en avoir partout, dans tous les sens, et surtout, ils ont une fâcheuse tendance à traverser la route sans prévenir.
JC ralentit. Des dizaines de kangourous nous regardent passer, il en laisse traverser une bonne douzaine, parfois en virant brutalement pour les éviter. Si ça n’était pas si morbide (et stressant pour le conducteur!), on pourrait croire à un jeu vidéo.
Et puis à 18h07, bim! Inévitable, un petit gris (ou peut-être un wallaby) déboule de sur la gauche et se jette littéralement sur le pare-choc du camper van. Sans la moindre possibilité d’y échapper, nous avons nous aussi participé au massacre routier. C’est une sensation des plus désagréables et quasiment impossible à oublier.
On estime à près de 2 millions le nombre d’animaux tués sur la route dans le Queensland chaque année (source: RSPCA). 75% des accidents liés à la présence d’un animal sur la chaussée seraient dus à des kangourous. Nous n’avons croisé qu’un petit kangourou gris, mais les dommages auraient été plus importants si nous avions eu affaire à un grand roux (les kangourous géants de 3 mètres n’existent plus). L’animal pouvant se déplacer à près de 50km/h, le choc peut être phénoménal. La route est parcourue d’immenses camions à plusieurs remorques, les road trains, qui ne peuvent pas faire quoi que ce soit pour les éviter (on trouve aussi, quoique plus rarement, des cadavres de vaches sur le bas côté!). Beaucoup de locaux ont des roo bars, littéralement des pare-kangourous, sur leur voiture. Il paraît impossible de rouler après le coucher du soleil sans risquer la collision.
Ce que nous ne savions pas, c’est que la tombée de la nuit et le lever du jour sont les périodes auxquelles les kangourous se mettent à la recherche de nourriture. Apparemment, en milieu aride, les routes concentrent plus d’humidité et rendent la nourriture plus abondante.
Dans la nuit, sur le Landsborough, alors que je ne comprenais pas ce qui poussait ces animaux à se précipiter sur notre pauvre ligne quand ils disposaient de tant d’espace autour, je me suis imaginé une histoire plus sordide: Les kangourous du highway sont suicidaires. A l’image de la légende du cimetière des éléphants, j’ai envisagé un rite marsupial ancestral, lié à cette ligne qui traverse le pays. Les kangourous s’y rendent pour mourir… je n’ai pas trop insisté sur ce thème.
A partir de ce soir-là, alors que nous ne roulions plus borgnes, nous avons évité de circuler la nuit. Il n’en reste pas moins que sur plusieurs centaines de kilomètres entre Longreach et Mount Isa, le highway pue littéralement la charogne.
Et désormais, pour moi, le joli panneau exotique n’aura plus jamais les mêmes connotations.