Nous ne sommes pas des explorateurs maudits et, le désert, nous avons fini par en sortir. Il paraît qu’il a fallu très longtemps avant que les poètes australiens arrêtent de vanter la verdure et les pâturages pour s’approprier le rouge et l’aridité. Je les comprends.
La route continue vers le sud à travers le Territoire interdit. C’est beau, ce nom, on dirait de la science-fiction. Le geek, qui se réveille toujours dans ces moments-là, voit la zone 51, bien sûr. C’est un immense terrain militaire où il n’est apparemment pas très bien vu de quitter la route. Nous n’en avons pas l’intention, ça tombe bien. A part les panneaux, rien ne change vraiment dans le paysage. Nous n’avons croisé ni alien, ni Hulk, mais pas mal d’uniformes lors de nos étapes.
Nous croisons ensuite le chemin d’un lac asséché qui n’est plus qu’une grande croûte de sel peuplée de mouches. Nous avons l’intention de voir un salar bien plus impressionnant en Amérique du sud, mais nous prenons quand même une ou deux photos. Et plus nous descendons vers le sud, plus les traces d’eau deviennent nombreuses. On a beau dire, ça fait du bien. Pendant des jours, nous avons traversé des creeks complètements secs. Nous avons beau savoir pour l’avoir lu, entendu et observé sur la signalisation, tout le territoire que nous avons traversé est sujet aux inondations, mais nous avons vraiment du mal à l’imaginer.
A présent, les rivières commencent à contenir de l’eau. Ca fait du bien. Il faut dire qu’on est à cinq centimètres de la mer. Port Augusta. On ne s’y arrête pas, l’idée étant d’arriver rapidement à Kangaroo Island. Le désert a cédé la place aux champs et aux prairies. La nuit nous avons froid ! Ca fait drôle. Nous traversons Adelaide sans nous arrêter non plus. C’est une vraie ville, nous n’en avons pas vu depuis Brisbane. Celle-ci a la particularité de ne pas avoir cédé à la mode des gratte-ciel dans le centre ville. De la fenêtre du van, nous apercevons deux ou trois endroits où nous nous serions bien attardés, mais l’île aux kangourous nous attend et le temps commence à nous manquer. On trace. Mais pas assez. En calculant la distance, le temps de traversée, la visite de l’île elle-même, nous nous rendons compte que nous ne pouvons pas faire cette étape et rendre le van temps à Melbourne. Kangaroo Island, comme la Grande barrière de corail et la Nouvelle Zélande, disparaît de notre liste.
Nous traversons le parc de Coorong, une réserve naturelle côtière, sur une route secondaire qui, contrairement à ce que je pensais en lisant la carte, n’offre pas vraiment de panoramas maritimes. A un relais routier décoré de trophées de chasse et de pêche, le café nous est servi par un couple d’amoureux Français en permis vacances-travail. L’endroit est paumé de chez paumé. Nous continuons jusqu’à Robe, une petite communauté maritime avec de vrais grands arbres et un lac au bord duquel nous amarrons notre camper van. C’est une nouvelle expérience que le printemps australien, frais et humide. Nous sommes encore hors saison et la ville est essentiellement peuplée de retraités. La halte, sans doute parce que nous sommes de nouveau dans un camping, mais aussi grâce à la présence de l’eau et de la verdure, me semble plus reposante que les autres.
C’est à Robe que je me rends compte que je ne suis pas encore complètement habitué à l’accent australien. Dans le restaurant où nous prenons notre petit déjeuner, je demande le code du WiFi gratuit. La serveuse me répond :
« Blow monkey »
Je m’étonne. Cette communauté maritime est pleine de gens respectables et la référence à de singe suceur me semble incongrue.
« Blow monkey » répété-je pour m’assurer d’avoir bien compris.
« Blow monkey » confirme la jeune femme.
Je reviens à notre table et nous essayons le code. Evidemment, ce n’était pas le bon. Elle disait blow mais il fallait comprendre blue. (OK un singe bleu n’est pas beaucoup moins étonnant, mais moins « subversif » !). On rigole bien de ma bévue, qui deviendra un gag récurrent pour le reste du voyage. Pendant ce temps, une mouette s’empare du petit dèj’ de JC.
Nous quittons Robe et passons la barre des 6000 kilomètres sur une route bordée de pins. On se croirait dans les Landes, c’est très curieux. Plus loin, dans l’état de Victoria, nous entrons dans notre première forêt d’eucalyptus. Entre Portland et Port Fairy, nous traversons aussi des pâturages vallonnés qui pourraient faire irlandais, avec leurs moutons et leur verdure, si les arbres n’étaient pas si manifestement non-européens. C’est curieux. Un paysage artificiellement recréé dans un milieu étranger. On touche à l’essence même de la colonisation. En même temps, tous ces arbres, tout ce vert, ça repose. Je dois me rendre à l’évidence, je me sens plus chez moi dans un climat humide qu’en milieu aride.
Port Fairy est une autre de ces communautés de retraités en bord de mer, avec marina et gazons bien taillés. Sara, notre logeuse de Melbourne, nous dirait plus tard qu’elle héberge aussi un festival annuel qui est bien moins soporifique… Peut-être. Dernière étape à Warrnambool, que nous rebaptisons Wanaboumboule, Waraboutboule et Tagada-boom-boom sans savoir qu’il s’agit de la capitale australienne du Ku Klux Klan (encore une révélation de Sara), tous les Australiens ne seraient donc pas adorables ? C’est tellement extérieur à notre expérience que nous avons presque du mal à le croire.
Le lendemain, nous rejoignons la Great Ocean Road.
La Great Ocean Road longe la côte du Victoria jusqu’à Melbourne. C’est un endroit magnifique, avec l’océan d’un côté, les forêts d’eucalyptus de l’autre et des formations rocheuse spectaculaires, notamment les Twelve Apostles, dont nous ne verrons pas toute la famille.
Nous faisons étape à Apollo Bay, une petite ville côtière qui donne moins l’impression d’être envahie de retraités et qui est très chère au cœur de Karine, la cousine de JC. Quelques semaines plus tard, au début de la saison touristique, cette route quasiment déserte se couvrirait de véhicules et les bouchons y seraient fréquents. Etre hors saison a ses avantages.
Nous passons notre dernière nuit sur une ère d’autoroute nommée Avalon (je vois le roi Arthur, bien sûr, mais c’est surtout le nom de l’aéroport voisin). Nous avons retrouvé la civilisation. Melbourne et le 16 Glasgow Street nous attendent, après 6775 kilomètres de route.
C’est à la fois énorme et dérisoire. Notre boucle nous a fait parcourir un terrain que peu de touristes ont le temps de couvrir, nous avons vu beaucoup de choses, mais le pays est tellement grand… Il nous manque tout le nord, tout l’ouest, la Tasmanie… En revanche, nous avons fait l’expérience des véritables distances, de l’incroyable étendue de ce pays-continent. Je pense que nous sortons de ce voyage avec une meilleure idée de ce qu’est l’Australie. Les filtres par lesquels nous a percevions en arrivant n’ont peut-être pas totalement disparu, mais nous approchons de ce qui fait la réalité des Terres australes.
Plus tard, quand JC a travaillé pour Wicked Campers, une société concurrente d’Apollo qui loue des vans tagués à une clientèle moins familiale, il a bouclé la boucle Melbourne – Sydney – Brisbane.
Une visite au musée de Melbourne, quelques semaines plus tard, nous présentera un autre pan de la culture aborigène, celui des peuples du sud dont le milieu n’est pas désertique, et toutes mes grandes généralités sur ce peuple fascinant prendront un coup dans l’aile. La réalité actuelle des aborigènes est également beaucoup plus complexe que je ne pourrai jamais comprendre, et encore moins relater.
la page (en anglais) de cette expo:
http://museumvictoria.com.au/bunjilaka/whatson/current-exhibitions/first-peoples/
http://museumvictoria.com.au/bunjilaka/videos/dungula-wamayirr-music-video/
Drôle, l’épisode du Blue monkey! Nous sommes des enfants gâtés, avec ces reportages passionnants qui arrivent quotidiennement… C’est une période prolifique pour les articles… une drogue et on est vite accro!
En ce moment, nous avons le privilège de parcourir le monde chaque matin grâce à vous. J’ai recherché les Breakaways hier dans les extraits: bonne idée! Et aujourd’hui, d’autres vidéos pour illustrer l’article. J’apprends beaucoup de choses passionnantes, merci!