« Yosemite est la plus belle vallée du monde. »
Pas « sans doute », pas « à mes yeux », pas « fait partie des », non, non, non, Yosemite « EST » la plus belle vallée du monde. Voilà ce qu’on lit partout. Alors évidemment, ça gonfle un peu les attentes.
Et je serai honnête: c’est en effet une très belle vallée, orientée comme il faut pour que le soleil joue efficacement entre les parois de granite, les pins et les cours d’eau. C’est très beau.
Du coup, statistiquement, au mois de juillet, il y a près de 560 000 personnes qui viennent, comme nous, y jeter un oeil (3,7 millions par an).
Notez qu’on a bien failli éviter la cohue parce que la semaine qui a précédé notre road-trip californien, Yosemite, c’était ça:
Mais le feu a été maîtrisé et, entre Bodie et San Francisco, nous sommes donc passés sur cette autoroute du tourisme de masse que représente le parc national.
Et après en avoir pris plein les yeux sur la route, puis éprouvé notre patience dans les ralentissements dus aux travaux, nous sommes arrivés dans cette fameuse vallée.
La vallée, en fait, c’est le complexe touristique du parc. Très ombragée sous d’immenses pins où rôdent des ours, on y aperçoit de temps en temps les falaises de granite, mais on y voit surtout des voitures, des bus et 559 998 autres touristes. La logistique est impeccable, certes, mais l’impression est… décourageante. Après le cirque de Lake Tahoe, nous avons eu l’impression d’être prisonniers d’un enfer californien constitué d’enfants qui crient, de parents qui s’engueulent entre deux photos et de gentils organisateurs toujours de bonne humeur.
Le tourisme existe ici depuis 1856, date de construction du premier hôtel.
Coïncidence ? Les Ahwahneechee qui habitaient l’endroit depuis environ 3 000 ans avaient décidé de déménager quelques années plutôt.
Chassés par les chercheurs d’or et déportés par le gouvernement californien ? Non, je ne crois pas. Ca se saurait.
Toujours est-il que dès la fin du 19e siècle, on s’inquiétait déjà de l’impact du tourisme sur le site. Au point que la protection du Yosemite est à l’origine de la création des parcs nationaux aux Etats-Unis en 1864.
La plupart des visiteurs ne font, comme nous, que venir admirer la beauté des lieux dans le confort de leur véhicule. Pour être complètement honnête, nous avons nous aussi profité des infrastructures qui permettent aux non-randonneurs de voir ce qu’il y a à voir. Et pendant que nous roulions derrière les bus ou que nous essayions de ne pas entendre la multitude de Français qui commentaient plus ou moins connement leur aventure, je pensais à Sarah et Greg, notre couple de rando-bloggers fous (ou puristes!) sur Take Away Monde.
Il est établi que nos choix de voyage sont très différents, j’admire autant que je détesterais leur trip sac à dos solitaire, mais là, chacun à notre bout du spectre de Yosemite, je crois que nos avis se rejoindraient. Il y a trop de monde.
Alors quoi? Faut-il laisser la beauté de la nature à ceux qui ont les jambes et le souffle pour la voir? La question est complexe. Et il n’est pas vraiment possible, à l’instar de la grotte de Lascaux, de fermer le site et de le reproduire à côté!
Ajoutons à ce problème un phénomène qui est apparu pour nous à Lake Tahoe et qui ne nous a pas vraiment quittés depuis.
Quand on regarde une source de lumière et qu’on ferme les yeux, une image de cette source (évitez le soleil, ça brûle!) reste imprimée un instant sur la rétine. C’est pour ça, par exemple, que les 24 images par seconde du cinéma nous donnent l’impression d’un mouvement ininterrompu. On appelle ça la rémanence.
Après plusieurs mois de collecte de souvenirs sur des sites aussi magnifiques qu’Uluru, les Breakaways, Torres del Paine, Iguazu, l’île de Pâques ou le Machu Picchu… on devient difficile. Le sens de l’émerveillement ne s’émousse pas, heureusement, on n’en est pas au point de dire « encore un gros caillou », « encore de la flotte qui tombe » ou « encore une grosse flaque », mais les comparaisons sont inévitables.
Je ne saurais pas dire si les pics de Torres del Paine sont plus ou moins beaux que les dômes de Yosemite. Ca n’a d’ailleurs aucune importance. En revanche les souvenirs qu’ils me laissent (bien que nous n’ayons pas été seuls sur le site, loin de là) sont liés à l’immensité et au calme. Pour Yosemite, ils sont liés à la foule et… oui encore, l’impression d’être chez Disney.
Pas dans un film de Walt Disney (vu comment j’imaginais la plus belle vallée du monde, je n’aurais pas été déçu!), mais dans un de ses parcs.
Il n’y a pas que la foule ou les attractions familiales, mais toute la mise en scène.
Pour retirer les clés de la tente/cabine que nous avions réservée à prix d’or pour la nuit, j’ai dû subir un sermon jovial sur l’attention particulière à porter aux ours. C’est vrai qu’ils rodent près des poubelles et des voitures et qu’ils peuvent flairer la nourriture même au fond des valises dans un coffre. Donc toute la bouffe et les produits parfumés censés pouvoir les attirer sont à confiner dans des compartiments spéciaux à l’épreuve des plantigrades. Le message est important, mais le ton de majorette de la fille qui m’a accueilli, un peu too much, au point que je me suis demandé où était le superviseur qui mesurait la largeur de son sourire. Suite à quoi, elle m’a fait signer une décharge comme quoi j’étais à présent Bear Aware (dans la course pour les ours?), la rime superflue m’a fait sourire à mon tour.
Toujours à propos des plantigrades, les chauffeurs des navettes qui trimbalent les touristes d’un bout à l’autre du complexe y vont tous de leur petit refrain. « Il y en a, il faut faire attention. Ils sortent surtout la nuit. On ne les voit pas souvent. Si vous en voyez, vous pouvez vous considérer privilégiés; prochain arrêt, le centre d’informations touristiques. »
Et à deux pas du parking, en plein jour, un ours noir débonnaire pose devant une quarantaine de touristes qui se croient privilégiés. Je ne dis pas qu’il a été mis là exprès, mais la rareté du phénomène me semble avoir été un peu exagérée.
Egalement en ligne de compte pour notre impression sur le site: la Californie souffre en ce moment d’une sécheresse historique. Ca ne se voit pas partout mais un des endroits censés être les plus beaux du parc, Mirror Lake, est complètement à sec. On dira ce qu’on voudra mais ça joue.
Plus satisfaisant, quoique moins spectaculaires que ceux du parc qui porte leur nom plus au sud: les séquoias de Mariposa Grove. Les Américains raffolent des superlatifs mais là c’est vrai: il s’agit des plus grands organismes vivants connus. Majestueux, impressionnants et parfumés.
Bref. On ne va pas faire les difficiles, mais ce qu’on retire surtout de notre expérience californienne, c’est un ras le bol du tourisme de masse.
Allez, galerie quand même!
Sinon, j’avais aussi ça comme image sur Yosemite (en VO mais ça n’empêche pas d’appécier les effets spéciaux…)
Comme d’hab, j’aime beaucoup ce que tu écris Steph…J’imagine très bien l’ambiance à l’américaine comme on l’aime pas, mais pas du tout….où le sublime est gâché …. Vos impressions sont tout à fait intéressantes, merci de les faire partager ..Gros bisous et bon voyage, Remember: don’t feed a bear!!!